Se dressant fièrement sur un éperon rocheux, dans une nature sauvage, les ruines du château fort de Montaigle semblent sortir tout droit d’un Moyen Age légendaire.
Elles occupent le sommet d’un massif calcaire s’étirant d’est en ouest et dominant, à la cote moyenne de 160 mètres, le confluent de la Molignée et du Flavion dont les eaux mêlées vont rejoindre celles de la Meuse en aval du village d’Anhée.
Le vallon tout entier ne manque pas de grandeur ni de beauté, mais son caractère émouvant a sans doute moins compté aux yeux des populations passées que les possibilités de défense naturelle qu’il leur offrait.
A partir du milieu du 3è s. en effet, l’Empire romain traverse une crise profonde qui ébranle ses structures politiques, économiques et sociales. Les régions de l’actuelle Belgique sont de plus en plus convoitées par les Germains contenus depuis trois siècles de l’autre côté de la frontière du Rhin (le limes). Face à cette menace de déstabilisation, l’administration romaine tente de réagir en organisant la défense du territoire. Vers les années 260, l’armée installe à la hâte des postes de garnison dans tout le bassin mosan. Ces postes, qui tiennent parfois lieu de refuge pour les civils, sont établis le long des principaux axes routiers et dans des vallées où se rencontrent des rochers du type de l’éperon barré.
C’est le cas de Montaigle. L’administration romaine y installe une petite garnison dont la présence n’est pas continue mais fluctue au gré des menaces. Dès le début du IVe siècle, un mur d’enceinte, large de 2 mètres, délimite un espace de près de 3.400 m2 au sommet du massif calcaire et à partir des années 370, un contingent important, composé surtout de volontaires originaires de Germanie (Lètes), occupe la forteresse avec femmes et enfants. Ils y vivent dans des cabanes en bois et torchis selon les coutumes de leur pays d’origine. Les plus habiles d’entre eux occupent leurs loisirs à fabriquer des boucles de ceinture, des poignées d’épée, des poinçons et d’autres accessoires que plusieurs campagnes de fouilles ont permis de retrouver in situ.
Ce régime d’occupation militaire semble cesser peu après 450 et le site est alors abandonné pour quatre siècles ; un cimetière mérovingien datant des VIe-VIIe siècles découvert en 1886 à Foy, hameau tout proche, sur le versant nord de la Molignée, juste en face de Montaigle, semble indiquer un déplacement de l’habitat vers la vallée.
Vers 900, un château est érigé au sommet du puissant rocher. Il ne subsiste que quelques traces de cette construction, dont un mur qui reprend le tracé d’un autre construit à l’époque gallo-romaine.
Ceux qui l’occupent appartiennent vraisemblablement au proche entourage des premiers comtes de Namur ; ils assument en outre la charge d’avoués de l’abbaye bénédictine de Waulsort. Ce sont les seigneurs de Faing, dont le nom, apparu pour la première fois dans un document officiel en 1050, est aussi celui de la terre et du château de Montaigle jusqu’à l’aube du XIVe siècle.
Au début du XIIe siècle la seigneurie, tombe en déshérence et Pierre de Courtenay, comte de Namur, la cède en fief à Gilles de Berlaymont. Celui-ci y fait bâtir une tour carrée, un donjon, à la pointe du rocher. L’espace fortifié se réduit alors à la moitié de ce qu’il était au Bas-Empire.
En 1298, Guy de Dampierre, comte de Flandre et marquis de Namur, rachète la terre de Faing et sa demeure castrale pour les céder en apanage à un fils cadet née d’un second mariage, Guy de Flandre appelé aussi Guy de Namur. Ce dernier y édifie un château dont on peut encore retrouver des vestiges dans les ruines actuelles.
La nouvelle construction est avant tout conçue comme un lieu de résidence au centre d’un domaine foncier assez important ; son rôle militaire est secondaire, mais son aspect n’en demeure pas moins puissant. Elle se compose de trois parties distinctes. Au pied du château, dans la plaine : la basse-cour abritant granges, écuries et prairies ; au sommet du rocher : le corps de logis, puissamment défendu par une tour ronde ; à un niveau intermédiaire : la cour regroupant les communs et le puits.
Profond de 33 mètres, ce dernier capture une source qui sourd à faible distance du Flavion : tout le cuvelage intérieur en est maçonné ; seul le fond est taillé dans la roche. Quant au château proprement dit, malgré la configuration irrégulière du terrain, il adopte un plan symétrique éprouvé sous Philippe-Auguste : toutes ses tours – ouvertes à la gorge et maintenues aux époques suivantes – sont placées à égale distance les unes des autres. C’est peut-être dans l’une de celles-ci que Guy de Namur installe la chapelle dont l’autorisation de fondation lui est accordée par une bulle du pape Clément V donnée à Carpentras le 6 juillet 1310.
L’Histoire garde le souvenir de ce Guy de Namur. Régent de Flandre pendant la captivité de son père, il engagea, à ce titre, contre le puissant roi de France Philippe IV le Bel la célèbre Bataille des Éperons d’Or (1302), épisode marquant de la lutte de la Flandre pour son indépendance.Deux jours après le combat, il désigne son chastel de Faing comme prison possible pour une douzaine de chevaliers français dont il s’est emparé en même temps que du château de Courtrai.
Le prince se fiança à Marguerite de Lorraine en mars 1311 mais il décéda quelques mois plus tard sans qu’il puisse être établi que cette union fût jamais consommée. Quoiqu’il en soit, le contrat de mariage, conclu à Sierck-sur-Moselle, stipule que le douaire de la future épouse se trouve entre autres constitué du « chastel de Fainges, com dist de Montaigle » : c’est la plus ancienne mention qui établisse un lien entre Faing et Montaigle.
A la mort de Jeanne d’Harcourt, en 1455, la terre de Montaigle, nous l’avons noté, est entrée dans les possessions de la Maison de Bourgogne, comme l’avait déjà fait le reste du comté de Namur dès 1429. Le château n’est alors plus qu’une modeste forteresse confinée dans son rôle de chef-lieu de bailliage et gardée par une vingtaine d’hommes en armes.
Sous Charles Quint, la frontière entre les Pays-Bas méridionaux et la France forme une zone névralgique, ce qui se traduit pratiquement par une politique militaire ambitieuse. On assiste bientôt à la création de villes bastionnées. A cette ligne de défense, on essaie, autant que faire se peut, d’intégrer les anciens châteaux. Proches de Montaigle, ceux de Bouvignes, de Dinant, d’Agimont et de Château-Thierry sont progressivement adaptés pour pouvoir résister aux ravages occasionnés par une artillerie de plus en plus efficace. Montaigle échappe à ces adaptations. Seul un boulevard, ou plate-forme à canon, avait été établi au pied du château dans la seconde moitié du XVe s. La cause majeure du déclassement de la vieille forteresse tient dans sa position géographique : ne contrôlant aucune voie de passage stratégique sur la ligne de défense que Charles Quint tente de mettre en place, elle ne peut même pas servir d’appui aux châteaux mosans.
Au commencement de l’été 1554, le roi de France Henri II, décidé de mener une opération dévastatrice dans le comté de Namur, emprunte la Meuse. Semant la misère à leur passage, ses troupes ne rencontrent aucune résistance sérieuse. Les places-fortes tombent les unes après les autres et les moins rapides à céder sont traitées avec la plus extrême rigueur. Il en est ainsi de Bouvignes et de bien d’autres lieux. Vers la mi-juillet, quelques soudards, placés sous les ordres de François de Clèves, duc de Nevers, sont chargés de la démolition « du Chasteau de Disnant et de tous les autres petits forts de l’environ ». Montaigle fait partie du lot. Abandonnée par sa garnison qui a reçu l’ordre de se replier sur Namur, la vieille forteresse subit un pillage en règle et l’ardeur d’un incendie qui ne la détruit cependant pas complètement.
En décidant de ne pas la reconstruire, les autorités confirment implicitement le peu d’intérêt stratégique qu’elle offre encore à leurs yeux…
D’un point de vue administratif, Montaigle reste toutefois le centre du bailliage du même nom jusqu’à la fin de l’Ancien Régime. Du moins officiellement puisque dans la pratique, le bailli tient désormais séance au village voisin de Falaën. Dans un des célèbres albums du duc de Croÿ exécutés autour de 1600, Adrien de Montigny représente la silhouette d’un édifice bel et bien ruiné et abandonné, mais les archives comme les investigations archéologiques témoignent cependant d’une réoccupation précaire de l’endroit.
Le retour de l’ancien portier est signalé en 1556 et l’année suivante, le receveur du bailliage paie un serrurier pour y placer un verrou. Des traces de réaménagements – nouveau dallage, four à chaux et four à pain notamment – ont été observés par endroits et divers objets des XVIe et XVIIe siècles exhumés. Parmi ceux-ci, citons deux belles assiettes en étain, des pièces de monnaie, de nombreux tessons de poterie et un fragment de péreau, sorte de bac en céramique dans lequel on faisait fondre la cire pour filer les bougies et dont la belle face est ornée du millésime 1612.
Le 1er octobre 1795, le territoire du comté de Namur est annexé à la France en même temps que celui des autres principautés formant ce que l’on a coutume d’appeler les Pays-Bas méridionaux. Héritière du gouverenement autrichien, la République donne l’ancien domaine militaire de Montaigle en location à un cultivateur du hameau voisin avant de le vendre comme bien national à un bourgeois de Dinant qui le revend à son tour par lots successifs.
Le 10 juillet 1827, les ruines et leur assise rocheuse échoient ainsi à Césaire Colette Flavie du Rot (1790-1865), veuve van den Bogaerde, une gantoise qui se fait construire un pavillon de style troubadour dans l’enceinte du vieux château et y séjourne plusieurs étés. Mais le voisinage, pour sa part, ne voit dans les ruines qu’une carrière commode ouverte à tous. Des matériaux y sont régulièrement prélevés pour être remployés dans la construction des habitations de la vallée.
Lassée par tant de pillages que la Justice se montre incapable d’empêcher plus encore que de sanctionner, la propriétaire finit par se débarasser de son bien au profit du comte de Beauffort, premier président de la Commission royale des Monuments (1854). Sa veuve en cède elle-même la propriété à Emmanuel del Marmol établi depuis peu dans le nouveau château de Montaigle, en compagnie de son frère cadet, Eugène, président de la Société archéologique de Namur (1865). Tous deux entreprennent un long et patient remembrement qui leur permet à peu de chose près de rassembler en une seule propriété le territoire de l’ancien domaine militaire.
Pour l’heure, les Ruines sont toujours dans les mains de leur descendance.
Amplifiée par les Anglais à l’époque romantique, la mode du tourisme amène quantité d’artistes et de poètes dans le vallon de Montaigle. Le caractère désolé et solitaire de la ruine convient bien à leurs âmes voyageuses et mélancoliques.
Nombreux sont alors les peintres, les dessinateurs ou les graveurs qui représentent Montaigle dans l’une ou l’autre de leurs créations ; les gens de lettre ne manquent pas d’en décrire le charme sauvage en des pages mémorables, tandis que les pionniers de la photographie d’art déposent leurs lourds appareils dans les prairies avoisinantes.
L’époque romantique est aussi celui d’un engouement profond pour l’étude du passé. Des sociétés archéologiques se créent un peu partout. Celle de Namur donne à Montaigle son archéologue et son historien : Alfred Becquet (1826-1912).
Celui-ci entreprend en effet d’écrire l’histoire de la forteresse et confie à Jean Godelaine (1839-1905), D’Jean d’au Montaigle comme on l’appelle dans le pays, le soin de fouiller, dans la vallée de la Molignée, plusieurs sites d’inhumation de l’époque gallo-romaine ou franque, avant qu’ils ne soient irrémédiablement perturbés par la construction de la voie ferrée reliant Yvoir à Tamines.
L’accroissement du nombre de visiteurs, lié à la démocratisation des loisirs, entraîne dès la fin du siècle une modification dans la représentation et la description des ruines. Cartes postales et guides touristiques prennent le relais des tableaux, des lithographies et des pages d’anthologie de la période précédente, sans atténuer le caractère hautement romantique d’un site qui disparaît insensiblement sous la végétation…
Les Ruines sont classées comme monument (5/11/1965) et les alentours comme site (25/10/1946 et 11/09/1981)
Depuis 1993, Montaigle fait partie du Patrimoine majeur de Wallonie.